Hello, j’espère que vous allez bien, et merci d’être toujours au rendez-vous pour lire mes articles (que je n’arrive toujours pas à écrire de façon régulière, mais bon, j’y travaille!) !
L’année 2023 sera sans doute celle où les questions autour de l’IA, et de la place des métiers créatifs dans la société ( qu’il s’agisse de dessin, d’illustration, de graphisme, de vidéo, d’écriture, de traduction ou de journalisme, entre autres…), auront pris une vraie ampleur. Mais malgré les angoisses que cela peut générer, j’ai envie de vous rassurer et de vous prouver que oui, il est toujours possible de vivre du dessin (ou d’une pratique créative!) en 2023 🙂 !
Cet article va recouvrir plusieurs aspects : d’abord, j’aimerais revenir sur deux questions qui m’ont été posées, lors de journées de formation que j’ai dispensé dans ma coopérative d’Activité. Ces questions étaient : “Qu’est-ce que c’est qu’entreprendre, pour un artiste ?”, et “Est-ce que je ne risque pas de me dégouter du dessin si j’en fais mon métier” ?
Ensuite, on va analyser les 5 grandes “peurs” qui pourraient vous freiner dans le choix de vouloir vivre de votre pratique artistique,
Et enfin, je vous expliquerais comment j’envisage mon travail créatif, en prenant deux cas concrets de commandes sur lesquelles je travaille actuellement : l’une où je peux fixer mon tarif, et l’autre où je ne peux pas le faire (et où je négocie mon temps, plutôt).
Allez, installez-vous confortablement, c’est parti !
1-Parlons marketing dans les milieux créatifs !

Cela fait maintenant quelques temps que je propose des formations “marketing” pour les entrepreneurs du secteur culturel, dans ma CAE-Scop. Ces formations sont motivées par le constat que, si la plupart des entrepreneur.e.s se lancent à leur compte dans une activité créative dont ils maîtrisent les subtilités techniques (montage vidéo, couture, illustration et cours de dessin, peinture…), beaucoup peinent à en vivre les premières années, à cause de lacunes en marketing et en communication. Les causes sont nombreuses et variées, et vont du manque de confiance en soi (syndrome de l’imposteur), au fait de ne pas aimer démarcher (“je travaille pour mes amis car le démarchage m’effraie”), de ne pas penser mériter un salaire (“je fais déjà un métier qui me plaît, je ne vais pas me plaindre…”), ou encore de ne pas vouloir travailler “que pour des riches” ou de “trahir ses valeurs” (“je ne travaille que pour des associations”, “je ne vais pas donner des cours de dessins qu’à des enfants de riches”),etc.
Même si la plupart de ces pensées limitantes s’appuient sur des sentiments nobles, elles freinent le développement de l’activité créative des entrepreneurs (limites internes), et les clients s’appuient sur ce manque de confiance pour négocier des services au rabais, des retours interminables, etc. Cela peut mener nombre d’entrepreneurs à un épuisement moral et/ou un dégoût de l’entrepreneuriat, et ces ateliers collectifs sont justement un lieu où tout peut se dire, où l’on peut parler de nos tarifs, de nos expériences clients, et de nos outils d’organisation au quotidien.
Parmi les nombreuses questions soulevées lors de ces journées, il y en deux qui ont résonné particulièrement dans le groupe : “Qu’est-ce qu’entreprendre, pour un artiste ?”, et “comment ne pas se dégouter de son art, lorsqu’il devient un travail ?”.
J’ai déjà longuement répondu à la première question en lui consacrant un article complet (par ici), mais je souhaiterais rajouter à cet article la notion de régularité (en plus de celle de partir de la demande du client, plutôt que de ses envies personnelles -“client first”-). La régularité est ce qui différenciera, in fine, l’artiste professionnel de l’amateur. Oubliez le mythe de l’artiste qui ne travaille que lorsqu’il en ressent l’envie, il faut que l’inspiration vous trouve à votre travail, tous les jours, et selon des créneaux bien établis (en fonction de votre chronotype, par exemple). Prenons l’exemple d’un peintre (appelons-le Pierre). Pierre procrastine sur ses démarches administratives et ses peintures, peut passer des jours à ne pas peindre car il n’a pas l’inspiration, mais arrive à se motiver à peindre lorsqu’il sait qu’une exposition (ou un marché) approche. Je lui ai conseillé de planifier tous les marchés d’art et expositions de son année, afin qu’il se place dans une vraie dynamique de création, et évite les “passages à vide” (ou blocages créatifs) qui sont d’autant plus difficiles à surmonter qu’ils durent. Il faudra également que Pierre délimite un créneau de travail dans sa journée, et qu’il s’y tienne, afin que cela devienne une habitude (on parle souvent du “pouvoir des habitudes”).
Passons maintenant à la 2e question, qui est dans la continuité de la première : ne risque-t-on pas de se dégouter de son art, lorsque celui-ci devient un travail ? Hé bien, je répondrais que cela dépend de chacun, des attentes et des enjeux qu’il y a derrière ce projet d’entrepreneuriat créatif. Lorsque je me suis mise à mon compte en tant qu’illustratrice freelance, par exemple, j’étais la seule à ramener un salaire au sein de mon foyer (qui se composait d’un enfant en bas âge, et d’un mari en reconversion professionnelle). Ayant déjà eu divers emplois salariés (intermittente du spectacle, enseignante, etc.), je voulais de tout mon coeur me lancer à mon compte, pour enfin gérer mon temps comme je l’entendais, et me libérer du salariat. Je me suis laissé trois ans pour stabiliser mon activité freelance, et à la fin de la troisième année j’ai été en capacité de me sortir un salaire. Mon enjeu était grand (nourrir ma famille grâce à ma seule activité freelance), et je ne me voyais pas faire autre chose que du dessin, je n’ai donc pas hésité à faire “commerce de mon art” et à me lancer à fond dans le développement de mon activité (je n’avais pas de “plan B”). Avoir un objectif chiffré à atteindre (35000€ de CA à l’année) et un délai (3 ans), m’a aidé à conserver mon cap.
J’aimerais aussi rappeler un point important, qui est qu’aucun travail ne sera tous les jours agréable. Il y aura des jours où vous n’aurez pas envie de vous y mettre, des jours où votre client vous insupportera, des jours où votre matériel vous lâchera, où vous ressentirez la solitude plus fort que d’habitude… mais cela vaut pour tous les métiers, qu’il s’agisse de l’écrivain qui rédige son futur best-seller, au graphiste qui doit refaire sa typo pour son client, en passant par la comptable qui complète son tableur Excel… Souvenez-vous ce qui a motivé votre décision de vous mettre à votre compte, et posez-vous cette question : prenez-vous du plaisir, en règle générale, à faire ce que vous faites ? Si oui, cela devrait vous aider à traverser les petits coups de “moins bien” ( les commandes qui s’éternisent, les projets mal payés…), car vous savez que ce n’est que temporaire, des cailloux sur votre chemin créatif, et que cela vous rendra plus déterminés pour la suite.
2-Les 5 grandes peurs qui empêchent de se lancer :

Voici les grandes peurs (j’en ai listé cinq, mais il en existe bien davantage, en fonction des personnes et des situations…), qui pourraient vous freiner dans votre entreprise créative, et les conseils que je peux vous donner à leur sujet :
- Comment vais-je financer ma formation (ou mon éducation continue) en dessin ? Que vous sortiez d’une école de dessin, ou que vous soyez un parfait autodidacte, j’ai envie de dire qu’Internet offre sa chance à tout le monde, en étant à la fois la plus grande bibliothèque que vous puissiez trouver, et la plus grande vitrine commerciale du monde. Si vous avez eu la chance de bénéficier d’une formation initiale en dessin, vous pouvez vous sentir plus légitime à vivre de cette activité, mais il vous faudra vous former sur les compétences marketing et communication (les grandes oubliées des cursus artistiques). Lecture conseillée : le Personnal MBA, de Josh Kaufman, et Graphiste Freelance, de Julien Moya. Si vous êtes autodidacte, Internet regorge de cours de dessins gratuits ou payants, de formations en ligne, plus ou moins onéreuses et plus ou moins conseillées. Je ne saurais vous orienter vers une formation en particulier (cela dépend de la technique qui vous attire, du style de l’artiste, etc.), mais veillez bien à lire les avis des clients, à voir si la formation est éligible au CPF, si vous avez accès à vie aux cours, aux mises à jour gratuites, à une communauté de pratique, à du coaching personnalisé, etc. Définissez quelles sont vos attentes en termes de formation, et luttez contre votre syndrome de l’imposteur : de nombreux artistes autodidactes ont fait carrière, un diplôme ne veut pas dire grand’chose dans les milieux artistiques. Lecture conseillé : Voler comme un artiste, d’Austin Kleon.
- Est-ce que je vais pouvoir gagner suffisamment d’argent pour subvenir à mes besoins ? Ici, nous revenons à la question de l’enjeu. Est-ce que votre activité créative est votre activité principale, ou une activité secondaire ? Pouvez-vous vous permettre de tester votre activité quelques temps, afin de voir si elle peut s’avérer rentable ? Pouvez-vous baisser vos dépenses et vivre avec moins d’argent, le temps que votre situation se stabilise ? Dans tous les cas, une analyse fine et chiffrée de vos besoins financiers (mensuels et annuels) est nécessaire, afin que vous ayez une vision claire et précise du chiffre d’Affaires que vous devez viser (et qui vous aidera également à définir votre tarif journalier). Lecture conseillée : relire mon article sur le tarif.
- Est-ce que j’ai les compétences nécessaires pour réussir dans ce domaine ? Lorsque l’on parle de compétences dans les milieux artistiques, on pense forcément d’abord aux compétences techniques : maîtrise de la perspective, de la couleur, des proportions, ou encore des logiciels. Mais l’expérience m’a prouvée que mes clients revenaient vers moi pour d’autres raisons : ma compréhension fine de leurs besoin, un devis très détaillé et sans surprise, mon autonomie sur le travail, le respect de l’agenda et un échange régulier sur l’avancement, et enfin l’écoute et la relation humaine qui se noue au-delà de la prestation. Soyez conscient qu’on vous choisira au début pour vos “hard skills” ( portfolio, compétences techniques…), et qu’on reviendra vers vos pour vos “soft skills” (politesse, respect des tarifs et des délais, etc.).
- Comment vais-je trouver des opportunités pour exercer et développer mes compétences en dessin ? Soyons clairs, je vous conseille d’éviter les concours gratuits, les plates-formes de mise en concurrence, et le travail gratuit ou “peu rémunéré” en échange de publicité pour “faire connaître votre travail”. Par contre, prenez toutes les opportunités (rémunérées) qui se présentent à vous, pour peu qu’elles soient rémunérées à minima, et n’aillent pas complètement à l’encontre de vos valeurs. Lorsque j’ai débuté en tant que freelance, je donnais des cours, des ateliers pour adultes, je faisais des illustrations jeunesse, de la BD, des films d’animation institutionnels, du montage photo pour des catalogues, et de la facilitation graphique. Ce n’est qu’après deux ans, que j’ai pu faire du tri dans toutes ces activités, et conserver les plus rémunératrices et les plus plaisantes pour moi. Je vous conseille donc de ne pas vous limiter, en début d’activité, et de vous spécialiser tout doucement par la suite.
- Comment vais-je me faire connaître et développer mon activité ? Créez-vous un portfolio ciblé, selon le client que vous souhaitez démarcher (vous pouvez avoir plusieurs portfolios spécifiques : un pour l’illustration jeunesse, un pour les illustrations “corporate”, un pour des illustrations de jeu, etc.), et n’hésitez pas à démarcher directement. Vous pouvez vous rendre dans les locaux du journal où vous aimeriez diffuser vos dessins, dans la médiathèque où vous aimeriez monter des ateliers, dans l’école où vous voudriez donner des cours. Même à l’époque d’Internet, les gens apprécient encore de rencontrer “en vrai” leur interlocuteur. Vous pouvez imprimer des portfolios thématiques et les laisser à vos prospects, ou des dépliants, ou une simple carte de visite, mais laissez une trace “physique” de votre passage à vos prospects (mes cartes de visite-portfolios, imprimées chez MOO, font toujours leur effet lorsque je les distribue ! ). Enfin, ayez une vraie présence sur Internet, avec un site personnel (soit un site vitrine, soit un mélange de site+ blog, si vous souhaitez écrire des articles sur votre travail, ce que je vous recommande), et une présence sur les réseaux sociaux. Choisissez-en peu ( par exemple, Instagram et LinkedIn, ou Tiktok et FB… ), mais soyez réguliers dans vos posts, et interagissez avec vos followers. Vous verrez, un jour vous n’aurez plus à démarcher, et aurez même le luxe de choisir vos clients. Patience ! 😉
3- Deux cas concrets de travaux :

Je vous le disais en introduction, voici deux exemples de commandes sur lesquelles je travaille en ce moment :
-Pour la première, il s’agit d’une prestation de scribing en direct. Je bénéficie d’un bon référencement sur ce sujet, car je pratique depuis plusieurs années, et nous sommes encore assez peu en France à proposer du scribing en live, d’autant plus sur support numérique. Je propose à mon client une solution clé en main, où j’étudie le sujet en amont et prépare mes planches (portraits des intervenants, charte graphique et palette de couleurs respectée), et fournis la prestation de dessins en live durant la journée + un livrable imprimable en fin de journée (toutes mes planches exportées sous forme de livret PDF). Sur cette prestation, je peux facturer une journée de travail à quatre chiffres. Deux à quatre prestations de ce type suffiraient à générer mon CA mensuel ( je ne suis pas encore à “la semaine de 4 heures de Tim Ferriss, mais presque au “mois de 4 jours”). Dans un cas comme celui-ci, je fixe mon tarif et je donne mon maximum lors de la prestation en live.
-Pour la deuxième, il s’agit d’une commande de 12 planches de BD, ou plus exactement de quatre BD, de trois planches chacune. Ce travail est rémunéré environ 4000€ HT, ce qui revient à 1000€ par BD, ou environ 300€ la page. Ici, la commande concerne un ouvrage collectif, et je n’ai pas pu négocier mon tarif, qui était le même pour tous les dessinateurs.trices. J’estime donc environ le travail que cela va représenter, et j’évalue qu’il ne me faut pas dépasser une semaine par BD si je veux que ce travail reste rentable. J’ai donc mentalement estimé 3 jours de travail par BD pour valider le scénario-écriture-storyboard (je travaille vite, et peux storyboarder 3 pages en une demi-journée), car c’est la phase la plus délicate, celle où il faut cadrer ce qu’on raconte pour coller aux attentes du client, tout en suivant une trame narrative. Une fois l’étape du storyboard validé, il me restera deux jours pour mettre les dessins au propre et les coloriser, je sais donc que j’adapterais mon style pour aller sur quelque chose de rapide et d’efficace. Lorsque vous ne pouvez pas négocier votre tarif, votre marge de manoeuvre se situe au niveau du temps que vous allez passer sur le projet. Apprenez à adapter votre style en fonction du budget de votre client, et vous vous libérerez l’esprit, sans perdre en professionalisme 🙂 !
Voilà, je clos ici ce très (trop?) long article, en espérant avoir pu vous démontrer qu’il existe encore de nombreux moyens de gagner votre vie avec votre entreprise créative. Pour terminer, sachez que toutes les informations que je dispense dans les articles de ce blog sont compilées dans mes PDF, disponibles à l’achat sur ma boutique et régulièrement mis à jour (ils me servent de support de formation). Alors si vous souhaitez tout lire à tête reposée et obtenir plein d’outils pratiques en bonus, rendez-vous sur ma boutique et faites votre choix parmi mes nombreux manuels. Enfin, si vous vous sentez bloqué.e dans votre évolution, ne restez pas avec vos doutes et prenez rendez-vous avec moi, il suffit quelque fois d’un regard extérieur pour déverrouiller des blocages et repartir sur de nouvelles bases !
À votre réussite, et à bientôt !
Anne